Le goût du malheur, Francis Poulenc
La Voix Humaine, Francis Poulenc / Jean Cocteau
Avec
Camille Poul, soprano
Jean Paul Pruna, piano
Agnès de Brunhoff, direction scénique
Marc de Pierrefeu, création vidéo
La voix humaine, grand monologue de Cocteau, intitulé drame lyrique par le compositeur Francis Poulenc, a été mis en musique des années après la création purement théâtrale. Cet opéra pour une seule voix est un drame raconté en direct: une rupture au téléphone, prosaïque et sublime. Un drame où le deuxième protagoniste n’est pas là et où cependant il n’est question que de lui, où sa présence se respire, nous entoure, nous asphyxie.
Certes c’est un opéra minimaliste, parce qu’il n’y a qu’une chanteuse et un pianiste sur scène mais c’est une histoire grandiose et universelle où chacun se reconnaît : celle d’une femme trahie, abandonnée, soumise, salie, lâche, menteuse, cynique mais tellement humaine, une immense amoureuse , tendre et naïve….
Cette version pour piano est de la main même de Poulenc. Moins grandiloquente que la version orchestrale, elle offre une intimité forte avec cette curieuse héroïne pathétique, alors que le pianiste revêt de nombreux rôles: étrange homme-orchestre, commentateur sadique ou apitoyé, maître du jeu, majordome, ou frère de douleur.
Nous avons voulu proposer une version simple, loin des mules à pompons et de la chanteuse en déshabillé de soie qui roule des yeux larmoyants sur son lit de douleur, mus par cette note d’intention de la main de Poulenc au début de la partition: « Le rôle unique de la voix humaine doit être tenu par une femme jeune et élégante. Il ne s’agit pas d’une femme âgée que son amant abandonne ».
Nous avons offert la part belle au rapport entre le pianiste et la jeune-femme chanteuse, choisi que le pianiste soit un acteur du drame, manipulant par la musique et par les divers rôles qu’il prend à dessein : cruel, empathique, moqueur, tendre aussi et parfois surpris par l’hystérie de cette femme chanteuse qui se débat avec son malheur.
Quant à la création vidéo de Marc De Pierrefeu, artiste inventif, élégant, virtuose du montage poétique crée le décor de cette histoire terrible, raccordant une jeune nonne, une chanteuse baroque, une femme entretenue et les amoureux de tous les temps.
Dès le début de La Voix Humaine, il est évident que la femme en scène ne supporte plus d’attendre le coup de fil de son amant, qui lui réclame leur correspondance et va ainsi la déposséder entièrement de cet amour qu’ils ont vécu. Elle est comme folle de cette attente qui la met en prison dans sa propre chambre.
Que faire quand on sait qu’à tout moment va survenir l’appel qui nous mettra le cœur définitivement en miettes? Que faire de soi?
Elle lit. Peut être est ce une catharsis de lire ce roman. A travers Marianne des Lettres Portugaises, elle pleure son malheur. Peut-être qu’elle y trouve du réconfort. D’autant plus que son ancien amant veut récupérer leurs lettres d’amour et que cela revient à lui arracher un membre. Elle chante “Le plus près possible” et d’une façon un peu incohérente, décalée, un peu bavarde, elle confesse combien c’est insupportable pour elle de lui rendre leur correspondance.
Mais elle sait qu’elle va plier et lui rendre ses lettres. Elle sait qu’elle a déjà rendu les armes.
Alors elle se raccroche à quelquechose, à ces écrits d’une autre femme malheureuse.
Peut être que la musique qu’elle chante et qu’elle écoute, ce lamento qui lui tourne dans la tête, comme une obsession, lui donne de la force, la garde éveillée, la maintient en vie. Elle n’a pas pris de comprimés, elle ne va pas se suicider mais elle vit le martyre.
Peut être aussi qu’elle comprend confusément que sa douleur, en écho à celle qu’elle lit dans ces textes est la matière brute de la poésie, de la beauté et de l’art. Et que confusément elle prépare ce que lui permettra de respirer à nouveau, une fois cette histoire terminée“
« Les Lettres Portugaises” de Guillerargues révèlent une passion qui, au cours de trois siècles, n’a rien perdu de son intensité. Courtes, passionnées et lyriques, ces cinq lettres montrent les stades successifs de la foi, du doute et du désespoir par lesquels est passée la narratrice.
Cette femme réalise au fur et à mesure de l’écriture de ces lettres l’abandon de son amant.
“Le plus près possible” est une pièce de théâtre de David Lescot, formidable auteur contemporain où les deux personnages se rencontrent, s’aiment, se déchirent, meurent et parfois renaissent dans les bras d’un autre. Un long monologue s’interroge sur les lettres, sur l’écriture, le besoin de se parler.